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Dec 2007
Les Urbaines /// by Emmanuel Grandjean
À l'origine, en 1995, «Les Urbaines»
se cantonnaient au Flon et au rock. Le quartier passait alors pour hautement
alternatif, jusqu'à ce que ce coin de Lausanne change radicalement
de camp. Depuis plusieurs années, le festival des «créations
émergentes» brasse, gratuitement, danse, théâtre,
design, musique et arts visuels un peu partout dans la cité. Mais
en 2007, petit changement. Jadis, les lieux étaient laissés
libres d'établir leur programmation. Désormais, le comité
de cette onzième édition adjoint à chaque discipline
des programmateurs dûment triés sur le volet et les regroupe
autour d'un thème commun: «Do it Yourself». «Nous
demandions que les projets mettent en avant trois choses, explique Patrick
de Rahm, directeur avec Delphine Rivier, du festival: que les artistes
entretiennent un rapport direct, limite artisanale avec leur production,
que leur démarche suscite une participation active du public et
que les petites structures autonomes soient prises en compte».
L'art contemporain se répartit ainsi entre quatre lieux - Circuit,
la galerie 1m3, l'espace Basta et l'espace Bellevaux - qui présentent
des accrochages choisis et mis sur pied par les new-yorkais de «Dispatch
Office» et le Français Julien Fronsacq, prof d'histoire de
l'art à l'Ecal, critique d'art et curateur indépendant.
Ce dernier expose les travaux de Raphaël Zarka et de Gyan Panchal,
respectivement à la galerie 1m3 et à l'espace Bellevaux.
Pour saisir l'esprit du premier, il faut savoir qu'il existe près
d'Orléans dix-huit kilomètres de rails de béton,
unique souvenir d'une grande aventure technique, un Aérotrain.
Dix-huit kilomètres de rails suspendus à cinq mètres
du sol par son concepteur Pierre Bertin, mais qui ne mènent à
rien. C'est sur ce tronçon qui, à défaut de transporter
des voyageurs, laisse filer l'imagination à 422 km/h, que Vincent
Lamouroux et Raphaël Zarka ont installé leur «Pentacycle».
Un véhicule minimal développé pour rouler spécifiquement
sur ce monorail fantôme. Tout ça pour dire le goût
de R. Zarka pour les espaces technologiques mis en échec. Et l'exposition
lausannoise? Justement, on y vient. Artiste et essayiste, R. Zarka s'intéresse
aussi, et depuis longtemps, au skate. Au point d'avoir écrit un
ouvrage, «La Conjonction interdite», seule tentative francophone
d'approche anthropologique de la planche à roulette. Projeté
à 1m3, «Rooler Gad» est un film dont le héros
est un chien. Un bâtard sympathique qui s'ébroue dans la
garrigue tandis que la caméra le suit docilement. Avant de lâcher
cette poursuite à quatre pattes pour s'intéresser à
son espace environnant. Car il y a là, planté au coeur de
la nature sauvage, une piste de skate qui ravive dans les mémoires
les belles heures de la luge d'été. Une rampe dont on regagne
le sommet en se laissant tracter par un téléski. À
ce détail près que le skatepark, aujourd'hui, ne fonctionne
plus. «Un fossile du mouvement à l'échelle du paysage»,
écrit Raphaël Zarka à propos de cette ruine autrefois
dédiée à la vitesse mais figée, inutile, dans
son immobilité tombée en faillite.
Gyan Panchal, lui, ne cherche pas dans les non-sites existants à
écrire l'archéologie en avance de l'histoire en marche.
Ses pièces participent cependant de ce même élan qui
fait balancer l'oeuvre entre passé et futur. L'artiste français
fabrique des objets à l'aspect rudimentaire en matière industrielle.
Une manière d'opposer le pur primitif du geste et de la technique
avec le strict contemporain d'une production mécanique. On a déjà
vu son monochrome tissé en fil de polymère chez attitudes
à Genève. Dans l'installation «Uoel» à
l'espace Bellevaux, il montre un monolithe de polystyrène imbibé
de pétrole brut. Un totem archaïque dont on ignore à
quelle fonction il est exactement rattaché. Celle d'échange
peut-être? le gasoil étant, par essence, le levier économique
de la société moderne. À moins qu'il n'évoque
le prisme magique de «2001 Odyssée de l'espace» dont
la mythologie se perd quelque part entre la banlieue de Jupiter et le
spectre de Stanley Kubrick.
Autre monument oublié, le jardin de sculpture de l'Université
de Mexico dont le Mexicain José Leon Cerillo expose les images
à l'espace Circuit. Une construction étonnante, envahie
par la végétation qui donne à cette esthétique
abandonnée des airs de Cap Canaveral, période mission Apollo,
et d'Ovniport raélien. Ce vestige des utopies modernes qui rêvait
l'art à la portée de tous, est ici présenté
par les curateurs de «Dispatch Office», agence de réception
et de création d'exposition basée à New York. Un
bureau fondé et dirigé par Gabrielle Giattino et Howie Chen,
également curateur au Withney Museum et membre, avec Mika Tajima,
du groupe bruitiste «New Humans». Leur credo? Des concerts-performances
dont les reliquats constituent les éléments d'une installation.
À Circuit, les «New Hu-mans» joueront vendredi 7 décembre
«Thin Line», une partition pour guitare, basse, batterie et
miroirs brisés. Mais ils laisseront jusqu'au 22 décembre
le public découvrir les décombres réfléchissants
de cette création aux éclats entropiques de Robert Smithson.
Notez encore que «Dispatch Office» a établi son centre
névralgique lausannois à l'espace Basta. Et qu'il partage
ce lieu d'accueil avec David Adamo. L'artiste américain y présente
«Untitled (Valeria)» un ensemble de divers objets «améliorés».
Disons plutôt «diminués», le plasticien modifiant
ce catalogue de produits courants dans le but d'en désamorcer la
charge pulsionnelle. Comme une sorte de musée de readymades estropiés
où les manches des massues sont rabotés et les murs de briques
sont des puzzles inachevés. |
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